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NOS ACTUS – PUBLICATIONS

Corindons synthétiques sculptés pour imiter des corindons naturels

Revue de l’Association Française de Gemmologie N° 178 – Décembre 2011

Ceux qui voyagent beaucoup sur les gisements de gemmes pour acheter du brut deviennent rapidement conscients qu’une épée de Damoclès plane au-dessus d’eux : la
possibilité d’acheter des synthèses habilement relookées pour ressembler à un brut tout ce qu’il y a de plus naturel.
Depuis plus d’une vingtaine d’années, les gemmologues ont documenté des corindons synthétiques bruts travaillés pour imiter des bruts de corindons naturels. Sur une alerte du laboratoire de l’ICA en 1989, H. Hänni et G. Bosshart, alors du SSEF, ont décrit deux corindons synthétiques bruts d’aspect bipyramidal d’apparence érodée pesant 56,04 ct et 21,80 ct (Kammerling & Koivula, 1989).
En 1993, R.C. Kammerling décrit un corindon brut synthétique taillé ressemblant à une pyramide hexagonale déformée et striée par la main de l’homme. Des rubis synthétiques
bruts ont été découverts dans un lot de pierres provenant du Vietnam et achetées pour des pierres naturelles (Koivula et Kammerling, 1991).
Des faits similaires ont été aussi décrits sur quasiment tous les sites de production de gemmes quels qu’ils soient (rubis, saphir, mais aussi diamant, émeraude, grenat, spinelle, topaze, etc.). Par exemple, des imitations de diamants bruts en topaze et phénacite ont été récemment décrites (Hainschwang, 2007 et Boulliard, 2010).
Nous avons eu l’occasion d’étudier trois pierres présentées comme des corindons naturels bruts provenant de Madagascar, deux rubis (Figure 1) et un saphir (Figure 2).

Figure 1 – Pierres «brutes» étudiées (28,29 ct et 18,27 ct). Photo A. Delaunay.

Figure 2 – Saphir «brut» étudié (20,12 ct), ressemblant à s’y méprendre à un corindon bleu de placer très érodé. Des bruts semblables ont été observés par exemple à Ilakaka. Photo A. Delaunay.

Figure 3 – Couleurs du pléochroïsme observées sur le saphir Photo A. Delaunay

Le plus large des rubis pèse 28,29 ct et mesure approximativement 19,3 x 14,9 x 7,5 mm.
Il se présente sous une forme de prisme trapu pseudohexagonal.
Le second est en forme de tonneau aplati. Il pèse 18,27 ct et mesure environ 12,7 x 14,7 x 8,3 mm. Les deux échantillons ont une densité de 4, un spectre typique du rubis
(qu’il soit naturel ou synthétique) dû au chrome.
Sous le rayonnement ultraviolet, les rubis dégagent une émission rouge intense avec les ondes longues. Sous les ondescourtes, ils émettent aussi un fort rouge, mais qui se combine avec un léger bleu laiteux. Le saphir est quant à lui inerte sous les ondes longues et bleu laiteux sous les ondes courtes.
Au polariscope, lorsqu’on les observe suivant l’axe optique présumé, dérivé de leur forme, la lumière est rétablie 4 fois. Ceci indique que l’axe cristallographique apparent ne correspond pas à l’axe optique vrai, comme cela devrait être le cas. Pareil raisonnement
peut aussi être établi sur la base de l’observation des couleurs de pléochroïsme peu marquées sur les rubis mais assez fortes sur le saphir (Figure 3).

Les zones de croissance courbes ne sont pas facilement visibles dans les corindons synthétiques bruts (Koivula et Kammerling, 1991).
Nous n’avons pas réussi à les déceler dans les rubis du fait de leur surface dépolie ne permettant pas d’observer leurs caractéristiques internes, même en immersion.
Par contre, en regardant le saphir dans une direction perpendiculaire à ce qui pourrait être un plan basal, des concentrations de couleur sur le pourtour de la «bouteille» caractéristiques des corindons synthétiques Verneuil bleus sont nettement visibles (Figures 4 et 5).

Figure 4 – Concentration de couleur courbe visible dans le saphir. Elle correspond au zonage de couleur observé suivant l’axe de croissance dans les saphirs bleus Verneuil où la couleur est essentiellement concentrée sur le pourtour de la «bouteille». Photo A. Delaunay.

 

Pour tenter d’observer des zones de croissance courbes sur une surface dépolie, nous avons essayé d’analyser nos échantillons grâce au DiamondView® du Laboratoire Français de Gemmologie (instrument mis au point par la Diamond Trading
Company).
Cet appareil est un système d’imagerie de luminescence aux rayons ultraviolets de faible longueur d’onde (environ 225 nm) ayant déjà été utilisé pour détecter des zones de croissance courbes dans des corindons synthétiques (Breeding et al.,2006).
Sur nos échantillons, il a été possible de détecter des zones de croissance courbes sur le saphir mais pas sur les rubis grâce au DiamondView® (Figure 6).

Figure 5 – Corindon synthétique présentant la concentration de couleur à la périphérie de la bouteille. Photo E. Fritsch.

Figure 6 – Zones de croissance courbe observées sur le saphir synthétique grâce au DiamondView® (Figures a, b : lumière visible ; Figures c, d : même zone en luminescence).

En observant la surface de nos échantillons, des stries sont visibles sur les faces du prisme. Cependant, ces stries ont un caractère peu courant car elles ne sont pas parallèles et ne se prolongent pas d’un pan du «tonnelet» à un autre comme pour un
corindon naturel (Figure7).

Figure 7 – Stries non parallèles observées sur l’échantillon n°2, grossissement x90. Photo A. Delaunay.

De plus, des « figures de cristallisation » triangulaires de grande dimension sont facilement discernables sur une des faces basales de chacun des deux rubis. Ces «figures de croissance» (stries et triangles) sont nettement délimitées comme si elles avaient été dessinées à la meule (Figure 8).

Figure 8 – Figure de croissance gravée sur un des sommets du tonnelet. Photo A. Delaunay.

Toutes les figures décrites ici sont constituées de traits ou limites ayant la même allure et la même section, donc probablement faites par la même machine.
Elles n’ont pas les marches très fines à bords plats (microfaces cristallines, figures 9 et 10) des cristaux naturels mais au contraire une section arrondie.

Figure 9 – Figure de croissance triangulaire à la surface d’un corindon naturel de Madagascar vue dans la direction de l’axe c, grossissement x60, collection Laboratoire Français de Gemmologie.
Photo A. Delaunay.

Figure 10 – Stries de croissance visibles sur un corindon naturel de Madagascar, collection Laboratoire Français de Gemmologie. Photo A. Delaunay.

Deux fenêtres ont été faites afin de pouvoir observer l’intérieur de nos échantillons. Là encore, nous n’avons vu aucune inclusion caractéristique des corindons synthétiques.
Ceci est exceptionnel dans les rubis naturels, mais très courant dans les corindons synthétiques obtenus par fusion (Verneuil, Czochralski, fusion de zone, etc.).

Les échantillons ont alors été analysés chimiquement au Laboratoire Français de Gemmologie grâce à un spectromètre de fluorescence X EDAX DX95 Philips PV9550. Ces pierres sont composées d’aluminium, d’oxygène et d’une petite quantité de chrome (donnant la couleur) pour les rubis. Ceci est normal pour des rubis mais l’absence combinée de fer, titane et surtout de gallium (Ga) est une preuve du caractère synthétique de ces pierres.
Toutes les propriétés décrites ci-dessus sont donc cohérentes avec celles de corindons synthétiques obtenus par une méthode fondée sur la fusion, et plus précisément Verneuil pour le saphir synthétique.
De pareils matériaux gemmes sont généralement bon marché.
Ceci explique que l’on ait voulu leur donner l’apparence de cristaux naturels, afin d’obtenir une «valeur ajoutée» maximum.

Ces imitations synthétiques très bien réalisées de cristaux naturels sont de plus en plus présentes sur le marché.
Philippe Ressigeac, gemmologue ayant voyagé à Madagascar avec Vincent Pardieu (www.fieldgemology.org) nous a affirmé, par le biais de Pierre-Yves Chatagnier, qu’il avait vu beaucoup de corindons synthétiques procédé Verneuil roulés ou taillés
pour ressembler à des corindons bruts naturels.

Bibliographie :
Boulliard J.-C., 2010, Les (faux) diamants de “Fougazi”, Revue de l’Association Française de Gemmologie, n° 170, pp. 5-6.
Breeding C.M., Wang W., Shen A.H., McClure S.F., Shigley J.E., De Ghionno D., High-Energy Ultraviolet Luminescence Imaging : Applications of the DTC
DiamondView for Gem Identification, Gems & Gemology, Fall 2006, vol. 42, n°2, p.88
Fritz E.A. et Laurs B.M., 2006, Synthetic corundum «gem rough» in Tanzania, Gems & Gemology, Gem News International, vol. 42, n°4, p. 282.
Hainschwang T., Gemlab Newsletter du 25/03/2008 : http://www.gemlab.net/website/gemlab/fileadmin/user_upload/Publications/Gemlab-PhenakiteTopaz-RoughDiaScam-04-2008.pdf, consulté le 10 juin 2011
Kammerling R.C., 1993, Another Imitation Ruby «Crystal», Gem Trade Lab Notes, Gems & Gemology, Gem Trade Lab Note, vol. 29, n°3, p. 204.
Koivula J.I., Kammerling R.C., 1989, Synthetic corundum «crystals», Gems & Gemology, Gem News, vol. 25, n°4, p. 249-250
Koivula J.I., Kammerling R.C., 1991, More synthetics sold as natural ruby in Vietnam, Gems & Gemology, Gem News International, vol. 27, n°4, p. 260.

FERMETURE HIVERNALE DU LABORATOIRE FRANÇAIS DE GEMMOLOGIE

Le laboratoire sera fermé du 25 décembre au 2 janvier inclus.

Il rouvrira ses portes le mercredi 3 janvier 2024.

Toute l'équipe du LFG vous souhaite de belles fêtes de fin d'année.

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